Textes applicables
- Art. 209 du CGI: ” I. Sous réserve des dispositions de la présente section, les bénéfices passibles de l’impôt sur les sociétés sont déterminés (…) en tenant compte uniquement des bénéfices réalisés dans les entreprises exploitées en France (…) ainsi que de ceux dont l’imposition est attribuée à la France par une convention internationale relative aux doubles impositions “
- Art. 4 de la convention entre la France et l’Irlande tendant à prévenir les doubles impositions et à prévenir l’évasion fiscale en matière d’impôt sur le revenu“1. Les bénéfices industriels et commerciaux d’une entreprise d’un Etat contractant ne sont imposables que dans cet Etat, à moins que l’entreprise n’exerce une activité industrielle ou commerciale dans l’autre Etat contractant par l’intermédiaire d’un établissement stable qui y est situé. Si l’entreprise exerce une telle activité, l’impôt peut être perçu dans l’autre Etat sur les bénéfices de l’entreprise, mais uniquement dans la mesure où ces bénéfices sont imputables audit établissement stable. (…) “
- Art. 2 de la convention entre la France et l’Irlande tendant à prévenir les doubles impositions et à prévenir l’évasion fiscale en matière d’impôt sur le revenu” Pour l’application de la présente convention : (…) / 9. Le terme ” établissement stable ” désigne une installation fixe d’affaires où une entreprise exerce tout ou partie de son activité. / (…) c) Une personne agissant dans un Etat contractant pour le compte d’une entreprise de l’autre Etat contractant autre qu’un agent jouissant d’un statut indépendant, visé à l’alinéa d ci-après, est considérée comme ” établissement stable ” dans le premier Etat si elle dispose dans cet Etat de pouvoirs qu’elle y exerce habituellement lui permettant de conclure des contrats au nom de l’entreprise, à moins que l’activité de cette personne ne soit limitée à l’achat de marchandises pour l’entreprise. (…) “
Autres sources ?
Faits et procédure
- Une société mère irlandaise exerce une activité de marketing digital notamment en France grâce une SARL:
-
- La SARL française rends les services suivants : assistance marketing consistant à agir comme le représentant marketing de la société irlandaise, ce qui inclut mais pas seulement, l’identification, la prospection et le signalement des clients potentiels, services continus de management et services d’assistance back-office, assistance administrative, incluant la comptabilité, la gestion des ressources humaines, les technologies de l’information et la trésorerie. En contrepartie, elle est remboursée de ses frais (” cost “) et perçoit une rémunération égale à 8 % du montant de ces frais.
-
- La société irlandaise propose à ses clients des services dénommés “Media”, le lancement des programmes “Media” est subordonné à la signature préalable des contrats par les dirigeants de la société irlandaise.
- Suivant vérification de comptabilité, la société a été assujetti à l’impôt sur les sociétés au titre de la période du 10 avril 2008 au 30 novembre 2012.
Question
Quelle appréciation retenir du lieu de conclusion des contrats ?
- Solution A : une approche textuelle et formelle : le lieu où est signé le contrat (Art. 2 de la Convention) ?
- Solution B : une approche rationalisée : le lieu où l’agent sollicite et reçoit les commandes (sans finaliser de manière formelle) … lorsque l’entreprise étrangère ne fait qu’approuver les transactions de façon routinière, sans modification substantielle (Commentaires OCDE) ?
Solution
Le conseil d’Etat juge:
“si la société irlandaise fixe le modèle des contrats conclus avec les annonceurs pour leur ouvrir le bénéfice des services dont elle assure l’exploitation ainsi que les conditions tarifaires générales, le choix de conclure un contrat avec un annonceur et l’ensemble des tâches nécessaires à sa conclusion relèvent des salariés de la société française, la société irlandaise se bornant à valider le contrat par une signature qui présente un caractère automatique. Il résulte de ce qui a été dit au point 4 que la cour a commis une erreur de droit et une erreur de qualification juridique en jugeant, au motif que les contrats avec les clients français étaient signés, dans les conditions rappelés ci-dessus, par la société irlandaise, que la société française n’était pas, pour elle, un établissement stable au sens du c) de l’article 2.9 de la convention franco-irlandaise.”
Intérêts
- La notion d’Etat Stable est interprétée de manière plus large : est un état stable l’agent dépendant réalisant habituellement l’ensemble des tâches nécessaires en vue de la conclusion d’un contrat dès lors que la société étrangère se borne à valider de manière routinière.
- Le Conseil d’Etat se refusait de prendre en compte les commentaires de l’OCDE postérieurs à la conclusion des conventions fiscales en cause. S’agit-il ici d’un revirement ou d’un simple argument persuasif “d’ailleurs” ?
- La jurisprudence “entend précisément faire preuve de réalisme en s’attachant aux circonstances de fait pour déjouer les apparences” (conclusions Bretonneau RJF 6/16, C555).
- Le Conseil d’Etat rejoint dans les faits la nouvelle définition donnée par la convention multilatérale (article 12 de la CML) pour la mise en œuvre des mesures relatives aux conventions fiscales pour prévenir l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices, adoptée à Paris le 24 novembre 2016, signée par la France le 7 juin 2017.
Pour aller plus loin (BOI-INT-DG-20-25 n°240 et 250 du 16 décembre 2020)
Au titre des mesures visant à éviter le contournement artificiel du statut d’établissement stable, l’article 12 de la CML insère une mesure relative aux schémas visant à éviter artificiellement le statut d’établissement stable (BOI-INT-DG-20-20-10), notamment dans le cadre des accords dits de commissionnaire et autres stratégies similaires.
Il modifie ainsi la définition des agents dépendants et indépendants figurant à l’article « Établissement stable » des conventions fiscales couvertes afin, d’une part, que des arrangements de pure forme ne permettent pas d’écarter la qualification d’ « établissement stable » et, d’autre part, que le statut d’agent indépendant ne soit pas reconnu à une personne agissant exclusivement ou quasi-exclusivement pour des entreprises qui lui sont étroitement liées.
Le 1 de l’article 12 de la CML stipule dans quelles conditions une entreprise résidente d’un État est considérée comme ayant un établissement stable dans l’autre État contractant du fait des activités d’une personne y agissant pour son compte, quand bien même elle ne dispose pas dans cet État d’une installation fixe d’affaires.
Les conditions suivantes doivent ainsi être remplies pour que cette nouvelle définition d’agent dépendant soit regardée comme satisfaite et que l’existence d’un établissement stable soit constatée :
– une personne agit dans un État contractant pour le compte d’une entreprise ;
– cette personne conclut habituellement des contrats, ou joue habituellement le rôle principal menant à la conclusion de contrats qui, de façon routinière, sont conclus sans modification importante par l’entreprise ; et
– ces contrats soit sont au nom de l’entreprise, soit prévoient le transfert de la propriété, ou la concession du droit d’utiliser, des biens appartenant à cette entreprise ou des biens que l’entreprise a le droit d’utiliser, soit concernent la prestation de services par cette entreprise.
Ainsi, cette nouvelle définition prévoit donc que, pour que l’activité d’une personne dans un État conduise à considérer qu’une entreprise a un établissement stable, cette personne doit conclure habituellement des contrats qui sont au nom de l’entreprise ou qui doivent être exécutés par l’entreprise ou doit jouer habituellement le rôle principal menant à la conclusion de tels contrats qui, de façon routinière, sont conclus sans modification importante par l’entreprise. Cette activité excède une simple activité de promotion ou de publicité.