Taxation d’office des avoirs étrangers non déclarés

Depuis le 1er janvier 2013, l’article L 23 C du Livre des procédures fiscales (LPF) prévoit:

Lorsque l’obligation prévue au deuxième alinéa de l’article 1649 A ou à l’article 1649 AA du code général des impôts n’a pas été respectée au moins une fois au titre des dix années précédentes, l’administration peut demander, indépendamment d’une procédure d’examen de situation fiscale personnelle, à la personne physique soumise à cette obligation de fournir dans un délai de soixante jours toutes informations ou justifications sur l’origine et les modalités d’acquisition des avoirs figurant sur le compte ou le contrat d’assurance-vie.

Lorsque la personne a répondu de façon insuffisante aux demandes d’informations ou de justifications, l’administration lui adresse une mise en demeure d’avoir à compléter sa réponse dans un délai de trente jours, en précisant les compléments de réponse qu’elle souhaite.

L’article L 71 du LPF poursuit:

En l’absence de réponse ou à défaut de réponse suffisante aux demandes d’informations ou de justifications prévues à l’article L. 23 C  dans les délais prévus au même article, la personne est taxée d’office dans les conditions prévues à l’article 755 du code général des impôts.

La décision de mettre en œuvre cette taxation d’office est prise par un agent de catégorie A détenant au moins un grade fixé par décret en Conseil d’Etat, qui vise à cet effet la notification prévue à l’article L. 76.

L’article 755 du CGI assène:

Les avoirs figurant sur un compte ou un contrat d’assurance-vie étranger et dont l’origine et les modalités d’acquisition n’ont pas été justifiées dans le cadre de la procédure prévue à l’article L. 23 C  du livre des procédures fiscales sont réputés constituer, jusqu’à preuve contraire, un patrimoine acquis à titre gratuit assujetti, à la date d’expiration des délais prévus au même article L. 23 C, aux droits de mutation à titre gratuit au taux le plus élevé mentionné au tableau III de l’article 777.

Ces droits sont calculés sur la valeur la plus élevée connue de l’administration des avoirs figurant sur le compte ou le contrat d’assurance-vie au cours des dix années précédant l’envoi de la demande d’informations ou de justifications prévue à l’article L. 23 C du livre des procédures fiscales, diminuée de la valeur des avoirs dont l’origine et les modalités d’acquisition ont été justifiées.

En synthèse, le défaut ou l’insuffisance de réponse dans un délai de 60 jours à une demande d’informations ou de justifications sur l’origine et les modalités d’acquisition des avoirs figurant sur un compte ou un contrat d’assurance-vie non déclarés, entraîne une taxation d’office au taux de 60 % de la valeur connue la plus élevée.

La chambre commerciale de la Cour de cassation vient de renvoyer devant le Conseil constitutionnel une QPC s’agissant des articles L 23 C du LPF et 755 du CGI combinés:

Portent-ils atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, en particulier aux principes d’égalité devant la loi et devant les charges publiques, protégés respectivement par les articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ?

Le débat est crucial, la taxation étant élevée à l’excès:

  • S’agit-il d’une taxation ou d’une véritable sanction compte tenu du taux appliqué à un défaillant par opposition à celui appliqué à un non défaillant ?
  • Le texte institue-t-il une présomption irréfragable ? Le plus souvent et compte-tenu de l’ancienneté des opérations (archives bancaires conservées au maximum pendant 10 ans par les banques), il est quasiment impossible d’apporter la preuve; l’administration se montrant à cet égard particulièrement pointilleuse…
  • Devrait-il être prévue une possibilité de modulation si le taux est considéré comme un véritable sanction et disproportionné,
  • Existe-t-il une discrimination entre les contribuables à les considérer comme placés dans une situation (“presque”) identique ?
  • Quelle est la valeur la plus élevée devant être retenue (une valeur même issue d’une période prescrite ? une valeur alors que la personne était possiblement non résidente ?) 

Pourtant, la Cour de cassation avait déjà eu affaire aux disposition litigieuses, mais dans sa décision n’avait alors pas considéré qu’il y avait lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel…en l’absence de caractère sérieux de la contestation…

Le débat est donc entier … solution dans quelques mois …

Par une décision n° 2021-939 QPC du 15 octobre 2021, le Conseil Constitutionnel a jugé les dispositions visées conformes à la Constitution aux motifs que :

  • Le législateur a entendu assurer l’effectivité du contrôle des avoirs détenus à l’étranger par les personnes physiques fiscalement domiciliées en France. Il a ainsi poursuivi l’objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales,
  • Le législateur a retenu des critères objectifs et rationnels au regard du but poursuivi,
  • Les dispositions contestées, qui visent à établir l’assiette de l’impôt et à en fixer le taux, ne constituent pas une sanction ayant le caractère d’une punition,
  • Par conséquent, ces dispositions, qui ne méconnaissent pas non plus le principe d’égalité devant la loi et le droit au respect de la vie privée, ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.